Acte IV. Les Moai, entre mythe et réalité

Qui sont ces géants de pierre aux yeux éteints ?
On dénombre 887 Moaï. Parmi ceux-ci, 288 ont été transportés et érigés sur un ahu (une plateforme cérémonielle). Du haut de leur piédestal, ils contemplent les touristes… et réciproquement. 397 autres sont restés dans la carrière qui les a vu naître. 92 gisent au sol, tombés en cours de transport. Le plus grand d’entre eux, dit “le géant”, dort encore à l’état d’ébauche dans sa gangue rocheuse. Il mesure 21, 60 m pour un poids estimé entre 160 et 182 tonnes. Autant dire qu’il aurait été totalement intransportable…

Les Moaï de l'ahu Nau Nau, sur la plage d'Anakena.

Parce qu’il faut savoir que les Moaï ont une nursery : le Rano Raraku, un site époustouflant. C’est là, dans les flancs de tuf de ce volcan éteint, que sont nés les Moaï. On y voit des centaines de visages figés à leurs différents stades d’avancement : certains se devinent, à peine esquissés dans la roche. D’autres attendent, dressés pour les dernières finitions. D’autres encore paradent sur le départ, prêts à rejoindre leur ahu. Arrêt sur image. Comme si le temps s’était arrêté là, dans cette “fabrique” d’où sont sorties 95 % des statues de Rapa Nui. Mais que s’est-il passé sur cette île mystère ?

Des visages émergent des flancs du volcan.

La “nursery” des Moaï.

Ces étranges statues ont donné lieu à nombre d’interprétations. Parmi les plus farfelues, on a prêté aux Atlantes, aux héritiers de la mythique Lémurie ou de l’empire de Mu, quand ce n’était pas aux extraterrestres, la paternité de ces sculptures. La réalité est plus simple. Ni des dieux, ni des démons, les Moaï seraient des statues commémoratives commandées par les différents clans qui peuplaient l’île. Tournés dos à la mer (à l’exception d’un site), ils incarnent la présence des ancêtres dans la vie quotidienne du groupe dont ils garantissent la cohésion sociale.

Sur l'ahu Tahai, mon Moaï “préféré” aux beaux yeux de corail.

Leur transport demeure une prouesse technique qui force l’admiration. Le musée de poche d’Hanga Roa décline plusieurs hypothèses : les statues ont pu être roulées sur des rondins, tirées sur des traîneaux de bois ou encore tractées par un système de cordages, ce qui expliquerait, en accord avec la tradition orale, qu’on voyait les Moaï « marcher »… Au cours de ce périple entre la carrière et l’ahu, parfois distants de 20 kilomètres, les chutes étaient fréquentes. Et c’était, à chaque fois, plusieurs mois de travail qu’il fallait recommencer. Entreprise titanesque aussi fascinante qu’absurde au regard des occidentaux que nous sommes. C’est cette obsession, poussée jusqu’au délire, qui impressionne chez ce peuple de tailleurs de pierre.

Les statues de l'Ahu Tongariki et des pétroglyphes marqués par des cercles de pierres.

Un pétroglyphe représentant l'homme-oiseau.

La fabrication des Moaï s’étale sur près de mille ans, entre 800 et 1680. Après quoi, des conflits entre différentes lignées éclatent, mettant un terme à l’ère des géants de pierre. Les statues sont renversées et le culte de l’homme-oiseau remplace celui des Moaï. Chaque année, l’élu qui régnera sur l’île pendant un an est désigné au terme d’une périlleuse épreuve. Dans le village perché d’Orongo, des pétroglyphes (dessins gravés dans la pierre) témoignent encore de ce rite printanier. C’est de ces falaises que s’élançaient les candidats, vers l’îlot de Motu Nui en contrebas, pour rapporter à la nage, en prenant soin d’éviter les requins, le premier œuf de sterne de l’année. Cette pratique perdure jusqu’à l’arrivée des missionnaires en 1864.

Une silhouette du fond des âges.

Aujourd’hui, la plupart des Moaï gisent au sol, brisés, leur pukao – ce chignon de lave rouge – ayant roulé à plusieurs mètres. Ils ont perdu leurs yeux de corail blanc et contemplent, de leurs orbites vides, la valse des siècles. Spectacle touchant, que ces géants de pierre déchus, sentinelles abandonnées.
Pourtant le travail de taille continue… pour le plaisir des touristes. Ici, les statuettes en bois ou en pierre se fabriquent à la chaîne, à la ponceuse. Et pour quelques pesos, vous pouvez rapporter un Moaï miniature.

Il est déjà l’heure de partir et de retrouver nos civilisations pressées, oppressées. Je quitte Rapa Nui à reculons. Pour tout vous dire, j’ai même rêvé, un instant, de pouvoir y rester. Il y a ici quelque chose d’intact. Son éloignement géographique et le prix dissuasif du trajet font de l’île de Pâques un lieu relativement épargné par le tourisme. Pourtant récemment les Pascuans, inquiets, ont demandé une limitation des séjours et des quotas migratoires. Le nombril du monde échappe encore à la furie de la mondialisation. Mais pour combien de temps ?

Moaï renversés.

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